Chapitre 4
Échanges entre nations – Le Bic , 15e siècle
Dans cette sphère située au Cap à l’Orignal dans le secteur du Bic, on se retrouve à l’intérieur d’une maison longue. Ce genre d’habitation est le modèle de base des habitations des nations de la langue et de culture iroquoiennes de la période précontact. Il s’agit d’établissements importants dans lesquels certains peuples autochtones vivent et procèdent à des cérémonies, des réunions politiques et divers rassemblements communautaires.
Informations archéologiques
Les recherches archéologiques ont démontré qu’une structure de maison rectangulaire avait été érigée et habitée à l’époque sylvicole – il y a 3300 à 4000 ans – sur l’actuel emplacement du parc du Bic. Il ne s’agit cependant pas d’un village de maisons longues comme on en retrouvait à Stadaconé ou Hochelaga, mais bien d’une maison isolée.
Dans un rapport sur les fouilles effectuées sur ce site, l’archéologue Pierre Dumais écrit :
Cette maison aurait mesuré 4,4 mètres de largeur sur au moins 7,1 mètres de longueur (...) Nous pouvons penser qu’elle pouvait loger une dizaine de personnes, vraisemblablement réparties en deux familles.
Les quelques outils trouvés à l’intérieur témoignent qu’on y effectuait des tâches diverses liées à la préparation de la nourriture, au traitement des peaux et au travail du bois.
Les différentes nations ou familles linguistiques qui fréquentent l’estuaire
Les peuples nomades de l’Amérique du Nord, habitués depuis des millénaires à parcourir de grandes distances pour chasser, pêcher, cueillir et faire des échanges, ont fréquenté le fleuve Saint-Laurent et les rivières qui le bordent à la hauteur de l’estuaire, comme la rivière Saguenay, la rivière du Loup, la rivière Rimouski et la rivière Trois-Pistoles. Ces rivières permettaient d’ailleurs de rejoindre d’autres grands réseaux hydrographiques, dont celui de la rivière Saint-Jean qui se jette dans la baie de Fundy à Saint John au Nouveau-Brunswick, ou encore ceux de la Ristigouche ou de la Miramichi. Cette interconnexion des rivières a permis à différents peuples de se déplacer du sud (Maine et baie des Chaleurs), de l’ouest (Stadaconé, Hochelaga), du nord (Saguenay) et de l’est (Gaspésie) vers des points de rencontre comme les îles du Bic et la région de Trois-Pistoles.
Les peuples qui ont le plus fréquemment voyagé et fréquenté le territoire de l’estuaire sont les Iroquoiens du Saint-Laurent et les Algonquiens. Les Iroquoiens qui parcouraient le fleuve pour se procurer de la nourriture ou faire des échanges provenaient de la région de Québec. Dans la grande famille algonquienne, les principales nations qui fréquentent le territoire sont les Wabanakis (Abénakis), les Wolastoqiyik et les Mi’kmaqs au sud-est (de la Gaspésie vers le Maine et les Maritimes). Au nord du Saint-Laurent, on trouve (de l’est vers l’ouest) les Innus (Montagnais), les Attikameks et les Anishnabe (Algonquiens) parmi ceux qui voyageaient dans la région de l’estuaire.
Déplacements et échanges
Les déplacements et les échanges permettent de diversifier l’apport de ressources entre les nations. Il était possible d’obtenir, par exemple, du maïs et du riz sauvage des peuples sédentaires du sud, de se procurer du matériel lithique (pierres) pour les outils et les armes provenant du Labrador, des peaux de grands mammifères ou des produits marins provenant de l’estuaire du Saint-Laurent.
Les grands rassemblements
L’ampleur des rassemblements varie selon les types d’événements à célébrer. Ils ont généralement lieu aux mêmes endroits et approximativement aux mêmes moments de l’année.
Ils permettent de célébrer la réussite d’une expédition de chasse, la naissance d’un enfant ou la mort d’un membre du groupe. Lorsque plusieurs familles distinctes sont présentes, ces rassemblements favorisent les échanges matrimoniaux. L’échange de biens, qui permet de faire le plein de réserves de nourriture, de peaux et de matériel de toutes sortes, est essentiel pour ces nations qui n’ont pas toutes accès aux mêmes ressources.
Enfin, ces rencontres favorisent également l’établissement de liens matrimoniaux ou le rétablissement de liens entachés par des disputes, du pillage ou des querelles anciennes.
Coutumes
Au 15e siècle, les Premières Nations possèdent leurs propres langues, coutumes et rituels. Elles n’ont pas encore été influencées par les explorateurs européens.
Les échanges
Les échanges de biens entre les différentes nations sont fréquents. Ils se font de manière individuelle ou lors de rassemblements. Par exemple, un fabricant de pointes de flèches ou de lances peut parcourir des centaines de kilomètres pour aller échanger sa marchandise. Qu’une nation soit nomade ou sédentaire, ses talents et ses ressources sont mis à profit. Alors que certaines sociétés cultivent le maïs et fabriquent de la poterie, d’autres ont accès aux grands bouleaux, aux marsouins ou aux grands cervidés (orignaux, caribous et chevreuils). La personne qui taille la pierre, qui tresse les paniers ou qui tanne les peaux peut produire une plus grande quantité que ce dont elle a directement besoin, dans le but d’échanger ses surplus pour des biens qu’elle ne peut trouver ou produire.
Distribution des territoires de chasse hivernale
Chaque été, la distribution des territoires de chasse est réévaluée pour l’hiver suivant. Les tractations sont faites pour équilibrer le partage des zones entre les familles d’une même région et selon la densité du gros gibier sur le territoire. Les chefs qui décident de la distribution sont normalement les meilleurs chasseurs du groupe. Bien que les familles respectent généralement cette distribution, il peut arriver qu’un groupe de chasse qui connaît une mauvaise saison demande à une autre famille le droit de chasser sur son territoire. L’hospitalité est alors de mise, car il est mal vu dans les sociétés algonquiennes de ne pas partager ses biens et ses ressources.
Les unions
Lors des grands rassemblements d’été, les propositions pour les échanges matrimoniaux se préparent. Une fois les ententes conclues, les cérémonies sont annoncées à l’avance pour être célébrées à l’été suivant ou au second, et le lieu est choisi. Les célébrations sont alors plus grandes.
Chez les nations algonquiennes de type patrilocal ou patrilinéaire, la coutume veut que la famille de l’époux reçoive sa nouvelle conjointe. Chez les nations iroquoiennes, au contraire, de type matrilocal ou matrilinéaire, c’est plutôt la famille de la femme qui accueille son nouveau conjoint.
Les conflits
Des tensions peuvent apparaître au sein des communautés ou entre celles-ci, par exemple si des territoires de chasse sont contestés, lors d’incursions mal venues sur des territoires frontaliers, si une nation cherche à contrôler certains produits commerciaux ou qu’une autre exige un droit de passage sur son territoire ou une quote-part pour une marchandise commerciale qui y transite.
Lorsque ces rivalités ne peuvent être résolues par des pourparlers diplomatiques, la guerre peut éclater. Des guerres entre nations entraînent des actes violents et sanglants, mais permettent aussi aux jeunes guerriers de prouver leur courage et leur bravoure, et ainsi d’acquérir du prestige dans leur communauté. Ces actes ne sont toutefois pas une coutume régulière.
Réconciliation et rituel diplomatique
Au temps des rassemblements d’été, les rituels diplomatiques permettent d’apaiser les tensions ou de rétablir des relations pacifiques. Les parties qui ont vécu des querelles partagent la pipe et fument ensemble le tabac pour calmer les esprits. Elles s’échangent aussi des présents de différentes natures pour s’inviter à oublier les sujets de dissension, ou si le conflit a généré des pertes, pour « couvrir les morts » et soulager la peine des familles endeuillées.
Pour clore les cérémonies, un festin est organisé. Les plats traditionnels de sagamité et de banique sont préparés et offerts à tous, et des jeux, des danses, des chants et des concerts de tambours viennent animer l’événement.
Références
DUMAIS, Pierre. « Le Bic : Images de neuf mille ans d’occupation amérindienne », Ethnoscop, Dossiers soixante-quatre, ministère des Affaires culturelles. 1988.
BOUCHARD, Serge. Récits de Mathieu Mestokosho, chasseur innu, Montréal, Boréal, 2017.
BOUCHARD, Serge. Confessions animales : Bestiaire, Montréal, Bibliothèque québécoise, 2013.
LABERGE, Marc. « Affiquets, matachias et vermillon », avec les illustrations de François Girard, Recherches amérindiennes au Québec, 1998.