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Chapitre 7

Colonisation et établissement des seigneuries – Maison Lamontagne, 17e et 18e siècles

Dans cette sphère, on se retrouve dans une maison de type seigneuriale appelée aujourd’hui la Maison Lamontagne. Elle fut construite en 1744. L’architecture de cette maison, une moitié en pièce sur pièce et une moitié en colombage pierroté, témoigne de l’avancement de la colonisation dans l’est du Québec.

La colonisation des régions du Bas-Saint-Laurent et de la Côte-Nord se fait très lentement au 17e siècle. Alors que c’est à Tadoussac qu’a été établi le premier poste de traite en Nouvelle-France, il faut attendre plusieurs décennies avant que des colons français ne s’établissent dans ces régions. L’éloignement des grands centres que sont Montréal et Québec de même que les conditions climatiques rendent les longs mois froids d’hiver particulièrement difficiles à supporter. Dans ce contexte, les familles autochtones qui sont établies et qui fréquentent le territoire apportent du soutien aux nouveaux arrivants. Ils leur apprennent par exemple à utiliser la fourrure pour fabriquer des habits d’hiver et leur transmettent des connaissances sur les plantes permettant de soigner le scorbut.

Présence autochtone en région

L’embouchure des rivières et le réseau de portages sont toujours très fréquentés par les peuples autochtones qui viennent profiter des ressources maritimes et poursuivre leurs échanges avec les Européens.

Les religieux et la colonisation

Il n’y a pas que les explorateurs et les commerçants qui s’intéressent à la Nouvelle-France. Les Jésuites, les Récollets et un bon nombre de missionnaires catholiques font partie des voyageurs qui arrivent en Nouvelle-France à bord des navires marchands. Certains de ces missionnaires s’installent dans les petits bourgs et accompagnent les colons dans leur nouvelle vie, mais d’autres se rendent dans les communautés autochtones pour tâcher de les évangéliser et de les convertir à la foi catholique.

Durant l’hiver 1645, par exemple, le jésuite Paul Lejeune séjourne dans la région du Bas-Saint-Laurent avec quelques familles d’Innus qui chassent l’orignal dans les forêts de l’arrière-pays de Rimouski et de Trois-Pistoles. Puis, dans les années 1670, une mission jésuite est établie à Rivière-du-Loup, que l’on nomme Notre-Dame-du-Bon-Pasteur. Quant aux quelques habitants français établis sur le territoire, ils sont desservis à compter du début du 18e siècle par des missionnaires récollets de passage qui séjournent quelques jours et font office de curés une ou deux fois par année.

À propos de l’utilisation du terme « sauvage »

Les missionnaires, comme la plupart des observateurs français de l’époque et les premiers colons, emploient généralement le terme « Sauvages » pour identifier et décrire l’ensemble des Premières Nations, contrairement par exemple aux Anglais qui, à la même époque, emploient plus souvent le terme « Indians ».

Or, il serait imprudent d’associer trop étroitement le mot « sauvage » avec l’idée que l’on se fait aujourd’hui qu’il s’agit d’un terme très méprisant et dégradant à l’égard des Autochtones. En effet, le mot « sauvage », tel qu’on l’emploie aux 17e et 18e siècles, découle d’une traduction du mot latin silvaticus, signifiant « homme de la forêt ». À l’époque, donc, le terme n’est pas nécessairement associé à l’idée de « férocité », de « bestialité » ou de « cruauté » que l’on rattache plutôt aux termes ferina ou feritas qui se rapportent aux animaux non domestiqués. Comme l’ont montré plusieurs historiens, cette signification s’est surtout imposée dans le langage courant du 20e siècle. Aux 17e et 18e siècles, le terme peut être employé de différentes façons. Le plus souvent, il a une signification relativement neutre, désignant toutes personnes d’origine autochtone, afin de les distinguer d’avec les colons français. Mais le terme est parfois employé de façon péjorative, pour souligner que les Autochtones n’ont pas atteint la prétendue « civilité » française ou européenne. À l’inverse, il est aussi parfois employé de façon positive, pour mettre en valeur la « pureté » des Autochtones vivant dans les bois, en comparaison avec les mœurs « corrompues » de certains Européens.

Le régime seigneurial

Le régime seigneurial est un système de distribution et d’occupation des terres implanté en Nouvelle-France en 1627, avec la création de la Compagnie de la Nouvelle-France (dite aussi des Cent Associés). Jusqu’au 19e siècle, 80 % de la population vit en milieu rural. En principe, le seigneur doit concéder gratuitement une terre aux familles qui en font la demande, moyennant certaines redevances annuelles (les cens et rentes). La famille y pratique une agriculture de subsistance, couvrant l’essentiel de ses besoins alimentaires, de chauffage et de logement. Ce système favorise le peuplement et encadre la population d’une façon systématique. Le découpage des terres en longues bandes rectangulaires procure un accès au fleuve à un plus grand nombre d’habitants et facilite les relations entre voisins. Les terres sont suffisamment grandes pour assurer une certaine aisance aux familles.

L’État accorde aux personnages les plus importants de la colonie, qu’ils soient d’origine noble ou roturière, une portion de territoire à mettre en valeur. La terre est concédée à titre de fief et de seigneurie qui, à son tour, est redistribuée en portions à des censitaires. Une série de règles régit le fonctionnement du système et les rapports entre les seigneurs et leurs censitaires, par contrat devant notaire. Le seigneur bénéficie de droits onéreux et de droits honorifiques. Il peut établir une cour de justice, ériger un moulin et organiser une commune. Il perçoit de l’habitant diverses redevances : le cens, une redevance symbolique assez modeste découlant de la féodalité qui affirme la sujétion théorique du censitaire au seigneur; la rente, un montant relatif à la superficie de la terre, payable en argent ou en nature (blé, par exemple); enfin, les banalités, c’est-à-dire la part prélevée sur la production céréalière que l’habitant doit faire moudre au moulin du seigneur. Le seigneur peut aussi accorder, ou non, des droits de chasse, de pêche et de coupe du bois au censitaire.

Établissement des seigneuries au Bas-Saint-Laurent

La plupart des seigneurs choisissent de s’établir sur les rives du Saint-Laurent, près de rivières qui servent de moyen de communication pour pénétrer à l’intérieur des terres. Par ce moyen, ils peuvent espérer attirer des Autochtones pour commercer avec eux. Dans l’est du Québec, sur les deux rives du fleuve, les seigneuries sont aussi établies à des endroits stratégiques pour la pêche ou la chasse au loup-marin.

Ce n’est qu’en 1653 qu’une première seigneurie est concédée dans le Bas-Saint-Laurent. Il s’agit de la seigneurie de l’Île-Verte, concédée par le gouverneur général de la Nouvelle-France à son fils, Jean de Lauson. Cette concession est motivée par l’attrait du commerce des fourrures, mais plus tard, on y développera surtout la chasse au loup-marin. La seigneurie du Bic, quant à elle, voit le jour en 1675 et celle de Rimouski en 1688. À la fin du 17e siècle, 17 seigneuries sont établies entre La Pocatière et Matane.

Avant le milieu du 18e siècle, les portions de territoire les plus peuplées se situent à La Pocatière, Rivière-Ouelle et Kamouraska. L’absence de route au-delà de Kamouraska freine le développement et le peuplement de la partie est du Bas-Saint-Laurent.

Le manoir

Le manoir, résidence du seigneur, témoigne de ses origines européennes par sa construction en pierres des champs, unies les unes aux autres par du bon mortier. Le manoir n’a qu’un étage avec de nombreuses fenêtres afin d’y faire entrer le soleil. Cet étage contient la grande chambre, qui est le lieu où se tenait généralement la famille, ainsi que le salon, la salle à manger et la chambre à coucher du seigneur. La cuisine est habituellement installée dans une dépendance attachée au manoir. D’autres membres de la famille et les domestiques ont leurs chambres dans les mansardes. Le manoir est communément bâti à une cinquantaine de pieds du chemin, et on y arrive par une double rangée d’arbres qui lui donne du caractère. À côté du manoir s’élèvent diverses dépendances, le four, les laiteries, la grange, etc. L’église et le moulin sont toujours construits à proximité du manoir.

La maison Lamontagne, où nous nous situons, n'est pas vraiment un manoir, mais il s'agit tout de même de la résidence de certains membres de la famille seigneuriale de Rimouski, soit la maison de Marie-Agnès Lepage (1723-1793) – fille du seigneur de Rimouski Pierre Lepage de Saint-Barnabé (1687-1754) – et de son mari Basile Côté (1712-1786). Bâtie vers 1744, la maison est installée sur une terre qui a été concédée par Pierre Lepage à Marie-Agnès et Basile en « arrière-fief », c’est-à-dire qu’il s’agit en quelque sorte d’une seigneurie dans une seigneurie. La maison Lamontagne se distingue de la majorité des habitations construites au Bas-Saint-Laurent sous le régime français qui étaient habituellement faites soit en « pièce sur pièce » (les « pièces » étant des madriers de bois empilés les uns sur les autres à l’horizontale) ou en « colombage » (les colombages étant des poteaux de bois verticaux alignés les uns à côté des autres). La maison Lamontagne, quant à elle, est construite en « colombage pierroté », c’est-à-dire que les poteaux verticaux sont séparés les uns des autres et que l’espace est rempli d’un mélange de glaise et de pierres, un mélange appelé « hourdis ». Cette architecture exceptionnelle en Amérique du Nord, qui provient de la région du Perche en France, a été populaire au Québec aux 17e et 18e siècles, mais a été abandonnée parce qu’elle ne résistait pas bien aux intempéries.

Développement économique

Dans les années 1670, un poste de traite est établi du côté sud du fleuve, à la rivière du Loup, dans la seigneurie de Charles Aubert de La Chesnaye, le plus riche marchand de fourrures de la Nouvelle-France. D’autres postes seront établis par la suite, notamment au Bic dans les années 1680. Du côté nord du fleuve, la traite des fourrures fait l’objet d’un monopole, que l’on appelle la « Traite de Tadoussac » ou le « Domaine du roi », et il est interdit aux colons de s’établir sur le territoire qui va de La Malbaie à Sept-Îles, sauf aux commis engagés par les détenteurs du monopole qui résident dans les postes de traite.

Au Bas-Saint-Laurent, la traite des fourrures, la chasse et la pêche permettent aux familles de survivre dans cette région éloignée des grands centres que sont Québec, Trois-Rivières et Montréal. Tout comme les Autochtones, les premiers habitants profitent de l’abondance de la faune. Ils pêchent le saumon, l’anguille, le hareng, l’alose et la morue. Ils cueillent également les mollusques sur les rivages du fleuve et dans les anses. La forêt leur procure un accès au gibier comme l’orignal et le caribou.

En plus de la chasse et de la pêche, les premiers colons développent l’agriculture. Après avoir défriché la terre, ils la travaillent, y sèment le blé et l’avoine pour faire le pain, et cultivent quelques légumes dans des potagers. Ceux qui habitent près des rivières construisent des bacs (petites embarcations à rames) qui leur permettent de les traverser et ainsi accroître leurs activités commerciales. Certaines seigneuries possèdent leur propre moulin à farine. Les premiers établis au 17e siècle sont des moulins à vent, comme celui de Rivière-Ouelle. Mais à compter du 18e siècle, on construit surtout des moulins à eau. Les colons construisent aussi des églises et même des presbytères pour accueillir les missionnaires.

Petit à petit, la traite des fourrures perd de l’importance au profit de la pêche au béluga et au marsouin commun. Au début du 18e siècle, des entreprises se forment, et les colons transforment la graisse de marsouin en huile pour les lampes. Plus tard au 18e siècle se développe aussi le commerce du bois.

Références

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Illustration : Chapitre 7